Devenir membre
Accueil > Actualités > Actualité détail
News
Activités Afite
Communiqués de presse
Agenda
Nominations


L'AFITE est membre de


Ils soutiennent l'AFITE

Le défi de l’eau en France : quelles mesures prendre en urgence ? Petit déjeuner au Palais du Luxembourg le 24 juin 2025

L'AFITE organisait le 24 juin 2025 un troisième petit déjeuner sur les suites du plan eau du gouvernement, avec un focus sur la qualité des eaux ainsi que sur la qualité des réseaux et la sécurisation de l'approvisionnement. Avec la participation du sénateur Hervé GILLÉ, Vice-Président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et de Thierry BURLOT, Président du comité de bassin Loire Bretagne, président du Cercle français de l'eau.

Ce petit déjeuner, organisé le 24 juin 2025 a abordé des questions telles que le financement de la politique de l'eau, la qualité des eaux et des réseaux, la gestion de la ressource, ou encore le partage de l'eau.

Une prise de conscience de la problématique de l'eau

Le Sénateur Gillé rappelle que nous assistons actuellement à une véritable prise de conscience collective des problématiques liées à l'eau. Le Plan Eau y participe et le point d'étape indique que toutes les parties prenantes ont entamé des réflexions, voire des programmes d'action portant sur la sobriété ou sur la qualité des eaux. Un certain nombre de mesures ont été mises en œuvre et des moyens ont été consacrés aux politiques de sobriété et à l'optimisation de la gestion de la ressource. Des aides financières, sous forme d'appels à projets, en particulier pour le secteur agricole, commencent à produire leurs premiers résultats.

Thierry Burlot se félicite que le sujet de l'eau devienne un sujet d'actualité, avec une complexité nouvelle, car jusqu'à présent, nous avons cru que l'eau était abondante, voire inépuisable en métropole. On s'aperçoit que ce n'est pas le cas et qu'il va falloir la préserver et la partager. Sans eau pas d'agriculture, pas d'économie, pas d'énergie... Depuis le lancement du plan gouvernemental, il y a deux ans, les collectivités ont pris la mesure des travaux colossaux à engager : renouvellement des canalisations, modernisation des stations... et des investissements considérables que cela représente.

Le financement de la politique de l'eau

Il reste, selon le Sénateur Gillé une grande interrogation en ce qui concerne la politique des moyens. Le 12ᵉ programme d'intervention des Agences de l'Eau (2025-2030) devra accompagner ces politiques, cependant le débat sur le principe du « plafond mordant », qui consiste à fixer un montant maximum de recettes pour les Agences de l'Eau, revient régulièrement dans le cadre du Projet de Loi de Finance (PLF).

Thierry Burlot ajoute qu'il y a seulement quelques années, on pensait que tout avait été fait, que les Agences de l'Eau disposaient de beaucoup d'argent, et qu'elles pouvaient payer autre chose que l'eau. On leur a donc demandé de financer la biodiversité avec l'OFB, les MAEC (pour l'Agence de l'Eau Loire Bretagne, cela représente près de 20 % des aides du 12° programme)... Si bien qu'aujourd'hui elles n'ont plus les capacités de financement suffisantes pour répondre à toutes les demandes.

Le Sénateur Gillé observe que les Agences de l'eau ont réorienté leurs programmes à l'échelle du bassin et s'interrogent sur les politiques d'accompagnement au niveau du petit cycle de l'eau pour lequel la capacité d'ingénierie, d'accompagnement n'est peut-être pas encore tout à fait structurée. Les modèles économiques des petits cycles vont devoir se transformer, se modifier et l'ensemble des acteurs de maîtrise d'ouvrage, les syndicats d'eau et d'assainissement, devront être capables de se projeter dans l'avenir à cours moyen et long termes.

Le Sénateur estime que la récente évolution de la loi qui donne la possibilité aux communes qui n'étaient pas engagés dans une approche communautaire de ne pas transférer les compétences eau et assainissement aux intercommunalités n'a pas été une bonne décision. Certaines situations particulières pouvaient nécessiter quelques ajustements, mais ce coup de frein donne un mauvais signal qui risque de faire perdre quelques années en termes de rationalisation et de mutualisation des services et des ressources. Le déploiement d'ouvrages de qualité nécessite, en effet, une assiette financière suffisante pour reposer sur des modèles économiques supportables.

Il est convaincu qu'il faudra mettre en œuvre une stratégie de sobriété. Mais il faut sortir des procédures d'urgence ou d'économie systématiques, qui ne s'inscrivent pas dans des objectifs et une ambition pérennes. Le modèle économique devra évoluer afin d'assurer une base financière suffisante pour assurer les investissements nécessaires à la maîtrise d'ouvrage. Il devra reposer sur une base importante forfaitaire et d'abonnement et ne pas se fonder uniquement sur le volume consommé, lequel pourrait faire l'objet d'une tarification progressive. Le Sénateur Gillé souhaite développer une tarification différenciée, avec une tarification sociale. Le CESE avait rendu un rapport sur le sujet en 20231, mais en raison de la complexité de mise en œuvre, les travaux sur ce sujet avancent lentement. Le Sénateur souhaite que ce travail permette de caractériser chaque unité d'habitation en fonction de ses consommations d'eau, d'énergie et de déchets, afin de définir des objectifs en matière d'empreinte écologique des ménages.

Thierry Burlot précise que jusqu'à présent, plus les usagers consomment, et plus cela rapporte au gestionnaire du réseau. Un objectif de réduction de la consommation de 10 %, cela signifie - 10 % de budget, au moment même où il faut augmenter les investissements. Il faut donc réinventer un système, avec de nouvelles règles, qui tient compte des usages de l'eau : l'eau essentielle à la vie, l'eau de loisir, etc.

Il faut constater que le prix de l'eau est relativement bas comparativement au prix de l'énergie ou de la téléphonie. Il devra désormais intégrer le coût de tous les investissements dont nous avons parlé, mais également quelque chose qui jusqu'à présent pouvait être optionnel et qui devient une obligation : la sécurisation, tant en termes de ressources que de qualité, qui passe notamment par l'interconnexion des réseaux.

Sur le petit cycle, nous disposons en France d'un modèle robuste, avec les deux grands principes : « l'eau paie l'eau » et « préleveur/pollueur - payeur » et le rôle pivot des Agences de l'Eau. C'est la conclusion de l'étude sur le financement de l'eau du CFE2, même si la question des financements des usages agricoles reste encore à traiter.

Christian Lécussan fait remarquer que ces deux grands principes sont parfois incompatibles, en effet, dans le cas d'une collectivité qui n'est toujours pas conforme à la DERU de 1992 qui est le pollueur ? La collectivité ou l'usager ? Qui est le payeur ? Systématiquement l'usager.

Le rapport souligne également un besoin de financement supplémentaire de l'ordre de 56 % pour répondre aux défis du changement climatique et aux objectifs de sobriété et de qualité de l'eau.

__________________

1 « Eau potable : des enjeux qui dépassent la tarification progressive », Avis du CESE, adopté le 29/11/2023

2 « Panorama du financement global de la politique de l'eau en France métropolitaine », rapport de l'étude réalisée par Maria Salvetti, économiste et analyste des politiques publiques dans le secteur de l'eau - novembre 2024

__________________

 

Répartition des redevances en part relative (à gauche) et en fonction des secteurs contributeurs (droite) au cours des Xe et XIe programmes (Source : République Française, 2013-2024 / Rapport du CFE de Nov 2024).
Note : APAD, activités de production assimilées domestiques

__________________

Thierry Burlot note que les redevances des Agences de l'Eau sont majoritairement payées par les particuliers, mais Christian Lécussan précise que l'on compare ici les sommes payées par 30 millions de ménages avec celles payées par 7000 entreprises.

Le fait de payer en fonction de la quantité consommée peut encore avoir du sens pour ce qui concerne le petit cycle de l'eau, mais n'en a plus vraiment sur le grand cycle de l'eau, pour lequel on peut considérer qu'environ 50 % des prélèvements est dû à l'agriculture, 25% à l'industrie et 25 % pour l'eau potable. Le financement du grand cycle de l'eau peut-il être le même que celui du petit cycle, ou doit-on envisager la mise en place d'un dispositif dédié ? M. Burlot milite dans ce sens et illustre son propos à travers l'exemple du Bassin Loire-Bretagne : il s'agit du plus grand bassin de France (30 % du territoire national), mais aussi du plus pauvre (400 millions de redevances), avec un fort développement agricole. Le rapport du CFE pointe la nécessité d'inventer un financement dédié au grand cycle de l'eau en interrogeant la règle de partage entre les différents instruments économiques (tarifs / redevances / fiscalité / transferts / mesures compensatoires) et en ayant recours à l'emprunt.

Le renouvellement des réseaux

Le Sénateur Gillé considère qu'on reste dans une position attentiste face ce qu'on a baptisé le « Plan Marshall » de la rénovation des réseaux. Il faudrait changer de braquet pour pouvoir accompagner tous les acteurs.

La moyenne de performance des réseaux au niveau national est autour de 80 %1, avec un rythme de renouvellement à 120 ans, alors qu'il devrait atteindre environ 60 ans, pour correspondre à la durée de vie théorique des canalisations.

Le gap est particulièrement important et nous avons sans doute de nouveaux paradigmes à mettre en place en termes de modèles économiques des maîtrises d'ouvrage. En particulier quand on s'aperçoit que la plupart des emprunts dans ces domaines ne sont pas considérés comme matures. Les collectivités peuvent obtenir des emprunts à 30 ans, mais difficilement à 40, 50 ou 60 ans. Pourtant, lorsqu'on fait des projections en termes d'investissement, l'emprunt sur une longue durée est une source de financement intéressante. Des solutions existent2, mais elles nécessitent d'être plus connues et de bénéficier d'une enveloppe budgétaire renforcée pour démultiplier le nombre de collectivités qui mobilisent ces moyens.

Chistian Lécussan précise que les fuites dans les réseaux représentent 1,8 milliard de m³ par an, c'est une quantité colossale, supérieure au prélèvement nécessaire pour alimenter le bassin Seine Normandie en eau potable (1,6 milliard de m³/an). Avec des très grandes disparités : les bons élèves dépassent 95 % de rendement, mais d'autres atteignent 90 % de perte.

Le Sénateur Gillé considère que cela est dû à un prix de l'eau trop bas, qui ne permet pas aux collectivités de réaliser les investissements nécessaires. M. Lécussan pense que cela peut également résulter d'un manque de volonté politique du gestionnaire de réseau.

Thierry Burlot préconise, en premier lieu, de rechercher et identifier les pertes, certaines peuvent être liées, par exemple, à de la défense incendie. Les techniques existantes permettent d'identifier les fuites et de sectoriser les sections fragiles.

Sylvain Boucher ajoute que les réseaux d'une grande ville comme Paris ne sont pas comparables à un réseau rural, à l'habitat dispersé. Cette question doit faire l'objet d'une approche territoriale, en tenant compte des usages de l'eau sur le territoire et des évolutions possibles.

La gestion de la ressource

Selon le Sénateur Gillé, la ressource en eau doit être protégée, consolidée, mais aussi optimisée à travers un renforcement des politiques de planification à l'échelle des territoires. Cela signifie qu'il faut avoir une vision stratégique des ressources en eau des nappes profondes ou superficielles, et surtout une stratégie d'interconnection pour sécuriser, autant que possible, l'ensemble du réseau, en tenant compte des autorisations de prélèvement, des secteurs en tension, ou encore des priorités d'investissement.

Certaines Agences de l'eau développent, des schémas stratégiques de gestion de la ressource, c'est le cas, par exemple, en Gironde, afin d'identifier l'ensemble des interconnections possibles et gérer les apports d'eau en tenant compte des besoins prioritaires.

À titre d'exemple, dans l'agglomération de Libourne, le SCOT (Schéma de Cohérence et d'Organisation Territoriale), négocié avec l'Etat, fixe des limites au droit à construire parce que l'ensemble du territoire a atteint ses limites en termes de production et de consommation d'eau.

Christian Lécussan rappelle l'importance de développer la Réutilisation des Eaux Usées Traitées (REUT), domaine dans lequel la France a beaucoup de retard, avec moins de 1 % du volume total des eaux traitées, par rapport à d'autres pays tels que l'Espagne (14 %), l'Italie (8 %), Israël (87 %), etc. Les technologies existent, mais il a fallu attendre l'évolution réglementaire à partir de 2023 pour pouvoir démarrer en France. Ce sujet suscite beaucoup d'intérêt dans les entreprises : la rencontre « Mardi de la DGPR » du 10 juin 2025 qui traitait du sujet de la réutilisation des eaux non potables dans les ICPE a réuni près de 500 participants.

Sylvain Boucher précise que les pays en avance sur la REUT tels que Singapour, l'Israël, ou l'Espagne ont mis en place un guichet unique tandis qu'en France il faut passer par quatre administrations différentes pour obtenir un accord. Pourtant, la question de la réutilisation de l'eau dans l'industrie a vraiment du sens quand on sait que près de 80 % de l'eau prélevée par les industriels est restituée au milieu, mais ce sont des investissements à long terme qui nécessitent du temps.

Protection des captages & qualité des eaux

La protection de la ressource est un enjeu majeur, comme l'avait rappelé la mission d'information sénatoriale sur la Gestion durable de l'eau3 dont le Sénateur Gillé était rapporteur.

Une proposition de loi débattue au Sénat le 12 juin dernier, visant à renforcer la protection des captages, a été rejetée, compte tenu notamment du contexte actuel de crise agricole. Mais elle a permis de présenter les enjeux et d'identifier les points de blocages.

Le Gouvernement a par ailleurs présenté le 28 mars 2025 sa feuille de route stratégique visant à « améliorer la qualité de l'eau par la protection des captages ». Elle prévoit notamment de cartographier l'ensemble des aires d'alimentation de captages sensibles et de mettre en place d'ici 2026 des plans de gestion de la sécurité sanitaire des eaux. Les travaux sont en cours, avec l'objectif d'identifier environ 3000 captages sensibles et de lancer les actions de protection d'ici la fin de l'année. Rappelons que 14 300 captages ont été fermés entre 1980 et 2024, dont environ 4 600 pour des problèmes de qualité liés aux pollutions par les pesticides ou nitrates.

La difficulté en la matière provient du fait que la protection de l'ensemble des aires de captage nécessiterait de protéger près de 20 % de la surface agricole française. En faisant de la différentiation en fonction de l'importance, de la sensibilité et de l'usage des captages, on peut réduire cette surface à 5 ou 6 % de la surface agricole selon le Sénateur.

Des mesures de protection, à travers la mise en place de contrat de paiement pour services environnementaux (PSE) ou de mesures agro-environnementales d'accompagnement (MAEC) pour adapter la production agricole aux enjeux sur les aires de captage, permettraient de faire évoluer les choses. Cela nécessite une politique de moyens et d'accompagnement.

Le Sénateur encourage à créer le cadre de la négociation avec l'ensemble des acteurs du territoire et des parties prenantes pour se fixer les objectifs communs et les moyens de les atteindre. Un cadre contractuel unique avec des contrats d'engagement réciproques permettrait d'ouvrir des dialogues de gestion avec l'ensemble des parties prenantes, reposant sur la définition d'objectifs atteignables, adaptés à la réalité de chaque partie prenante, assortis d'un accompagnement financier. Ce dispositif permettrait d'avoir une lisibilité politique, d'être adapté à la réalité du territoire, d'embarquer, et de responsabiliser les parties prenantes et d'atteindre les objectifs dans une programmation pluriannuelle, avec des paliers, des moyens et une stratégie d'accompagnement.

M. Burlot annonce que 92 % des rivières bretonnes sont touchées par les métabolites de pesticides. C'est pourquoi la protection des captages d'eau potable doit être une priorité absolue, en application du principe de précaution. Il faut assurer la pérennisation des dispositifs de protection, avec des mesures d'accompagnement tels que les PSE. Le chiffre annoncé par le Sénateur, de 5 % de la surface agricole utilisée (SAU) à protéger, devrait permettre d'atteindre un bon niveau de protection.

Il ajoute que l'Agence de l'eau Loire Bretagne effectue actuellement l'état des lieux des masses d'eau dans le cadre de la Directive Cadre sur l'Eau, et le résultat est loin d'être brillant. Avec la mobilisation d'autant de financement, il va être difficile d'expliquer que le résultat en matière de conformité est en recul par rapport à l'état antérieur. Christian Lécussan précise que c'est la même chose sur le bassin Seine Normandie.

Le partage de l'eau

Sur la question du partage de l'eau, M. Burlot estime que chacun doit prendre sa part. Il invite les collectivités à réaliser des études HMUC (Hydrologie, milieux, usages, climat)4. Il s'agit d'un outil largement déployé sur le du bassin Loire-Bretagne afin d'établir un constat de la situation hydrologique des territoires et d'estimer les tendances, dans le contexte du réchauffement climatique. Cela permet d'apporter des éléments de connaissance nécessaires pour faire des choix stratégiques, construire les projets de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE), et établir le cadre contractuel évoqué par le Sénateur Gillé. Ce diagnostic partagé permet de prendre conscience des fragilités du territoire et de fixer ensemble des objectifs clairs et chiffrés.

Albin Pineaudeau, Délégué Général de la FENARIVE ajoute que la solidarité locale est très importante en matière de partage de l'eau. Face à la menace croissante de tensions hydriques, il devient impératif d'instaurer un dialogue structuré et solidaire dans les territoires, en associant l'ensemble des parties prenantes, pour engager la planification d'une transformation radicale des usages. C'est une des conclusions du dernier rapport du Haut-commissariat à la Stratégie et au Plan5. À titre d'exemple, les eaux d'exhaure des carrières peuvent être mises à disposition d'autres utilisateurs, les carrières abandonnées peuvent devenir des réserves d'eau potable...

Le Sénateur Gillé relate l'exemple du SAGE des Nappes profondes de Gironde. Une grande partie de l'eau potable de la Gironde est produite à partir des nappes profondes présentes sur le département, dont certaines sont surexploitées. Pour préserver la nappe, la métropole recherche des sources de substitution, afin de permettre, dans un projet territorial, à d'autres syndicats, qui ne disposent pas de solutions alternatives, de continuer à prélever dans la nappe profonde. Le projet du champ captant des Landes du Médoc consiste à créer de nouveaux forages dans une nappe plus superficielle, dans le Médoc, pour alimenter une partie de la Métropole et limiter la pression sur la nappe profonde. Cela soulève des contestations des forestiers du Médoc qui craigne que cela nuise à l'écosystème forestier, mais c'est un formidable projet de solidarité territoriale. Ce type de projet doit reposer sur de la coopération territoriale et sur un juste partage des ressources, dans un rapport gagnant / gagnant.

L'exemple du conflit de Sainte-Soline

Les conflits de Sainte-Soline découlaient d'un problème de partage de l'eau. L'État avait accordé plus de 600 forages pour un total de près de 24 millions de m³ dans la nappe de la Sèvre Niortaise. Face à l'épuisement de la nappe, l'État a réduit la quantité autorisée à 14 millions de m³, dont 6 en substitution, en effectuant des stockages en hiver, lorsque la nappe est en excès. Thierry Burlot, deux agriculteurs, deux élus locaux et deux représentants d'associations ont mené une médiation. Ils ont reçu les parties prenantes et ont rédigé un rapport, lequel a été adopté, à bulletins secrets, par le comité de bassin, à l'unanimité, moins une abstention. Les élus, les agriculteurs, les industriels, les associations de protection de l'environnement... membres du comité de bassin ont tous voté la motion. Cela démontre que grâce à la négociation avec les acteurs du territoire, on peut arriver à des compromis locaux.

Christian Lécussan ajoute que le projet de Sainte-Soline consistait à stocker une partie de l'eau en surplus l'hiver pour l'utiliser l'été, sans avoir de conséquence sur la ressource.

M. Gillé précise que le principe de substitution peut être tout à fait acceptable dans le cas d'un prélèvement dans une nappe réactive, qui se recharge bien, mais le changement climatique peut rendre incertaines les conditions de recharge. Par ailleurs, même dans le cas d'une nappe très réactive, le prélèvement peut avoir des conséquences au niveau de l'ensemble du sous-bassin. Le principe peut néanmoins être pertinent, à condition de respecter toutes les conditions requises. Dans le cas de Sainte-Soline, le manque de concertation a créé une fracture, une rupture de la confiance, qui a conduit à des rapports de force terribles qui ont cassé la logique du projet.

Les efforts des industriels

Christian Lécussan cite l'étude de S&P Global publiée en mars dernier6, qui évalue à 1 061 milliards d'Euros le coût des conséquences financières des risques physiques liés au climat pour les plus grandes entreprises mondiales en 2050, en l'absence de mesures d'adaptation. Les entreprises sont conscientes du problème. Elles ont notamment été sensibilisées par le Grenelle de l'environnement, les Assises de l'Eau, ou encore le Plan Eau, et ont déjà mis en place des mesures de sobriété. Entre 1990 et aujourd'hui, les prélèvements de l'industrie ont baissé de 40 %, tandis que la production a peu varié7. Par ailleurs, les 50 entreprises retenues dans le cadre du Plan Eau ont baissé leurs prélèvements d'eau de 25 % entre 2015 et 2023.

__________________

1 Le rendement moyen est évalué à 81,2% en 2023 par le rapport « Panorama de l'organisation des services d'eau potable et d'assainissement et de leurs performances », Sispea - OFB, Edition juin 2025

2 La Banque des Territoires propose « Aqua Prêt », une solution permettant de financer les besoins concourant à la gestion de l'eau et des milieux aquatiques et prévention des inondations (GEMAPI), avec une durée d'amortissement de 15 à 60 ans.

3 Mission d'information "Gestion durable de l'eau : l'urgence d'agir pour nos usages, nos territoires et notre environnement"

4 Voir le site de l'Agence de l'eau Loire-Bretagne : https://sdage-sage.eau-loire-bretagne.fr/

5 L'eau en 2050 : graves tensions sur les écosystèmes et les usages - Note d'analyse HCSP - Juin 2025

6 S&P Global Sustainable1 Climate Physical Risk dataset, mars 2025

7 Voir « Etude FENARIVE : actions des industriels en faveur de la préservation de la ressource en eau », nov. 2019

__________________

Large companies projected to face $1.2 trillion in annual physical risk costs in the 2050s (© S&P Global - 2025)

__________________

Les industriels sont affectés par la baisse de la quantité d'eau douce disponible et la dégradation de la qualité des masses d'eau, aussi bien en raison de la présence de micropolluants que de macropolluants. Ils doivent également faire face à la mise en conformité avec la réglementation européenne : la nouvelle Directive Eaux Résiduaires Urbaines (DERU), le règlement sur la restauration de la nature qui fixe des objectifs chiffrés pour 2030, 2040 et 2050, la Directive Cadre sur l'Eau (DCE), dont les objectifs ne seront pas atteints en 2027... La nouvelle Directive IED baisse les limites d'émission et le plan interministériel sur le PFAS va également demander de gros investissements... Dans un contexte ou le nouveau système de redevance des Agences de l'Eau accroît la pression fiscale sur les entreprises, avec un doublement des redevances.

Le Sénateur Gillé estime que concernant l'équilibre entre la fiscalité des industriels et la pression sur les usagers, il va falloir instaurer un dialogue. Il faudra également intégrer la question de la plus-value de l'utilisation de l'eau. Ce sujet est aujourd'hui insuffisamment étudié. On peut être amené à surconsommer de l'eau avec une valeur ajoutée faible. Il faut réfléchir à une utilisation efficiente de l'eau et à une fiscalité d'accompagnement, différenciée en fonction de la plus-value. Cela ouvre un chantier qui renvoie à la question stratégique de l'utilisation de l'eau à bon escient, avec des plus-values significatives qui contribueront à son financement.

Christian Lécussan souhaite que l'on commence à penser différemment la problématique du financement et de l'efficience des dépenses. Il est nécessaire de responsabiliser les acteurs, d'avoir une gouvernance forte, avec un discours clair. La question de la recherche et de l'innovation est également fondamentale. Nous avons la chance d'avoir un savoir faire français dans le domaine de l'eau qu'il faut mettre à profit, et accompagner financièrement les laboratoires qui recherchent les solutions aux nouveaux défis, tels que les PFAS.

Il faut prendre en compte le fait que si on n'accompagne pas les industriels français dans leur transformation afin qu'ils respectent les objectifs de sobriété, tout en restant concurrent au niveau européen, on aura recours à l'importation. Dans le cas de denrées alimentaires cela revient à transférer des masses d'eau. Il y a également un risque d'importer des polluants qui se retrouveront dans nos cours d'eau ou dans nos organismes (pesticides, PFAS, microplastiques...).

Thierry Burlot entend souvent cette idée que « tout ce qu'on ne va pas produire ici, on le produira ailleurs », mais pour lui, il n'est pas question de remettre en cause la production en France. Il s'agit de faire en sorte de produire mieux. À titre d'exemple, il cite le modèle agricole intensif actuel, qui consomme des pesticides, des engrais... lesquels sont importés pour la plupart. La dépollution de ces polluants, que l'on retrouve dans l'eau potable, est à la charge de la collectivité. C'est pourquoi M. Burlot est très favorable à l'établissement de redevances sur l'importation de ces produits. Il faut prendre en compte le coût de dépollution de ces substances.

De la même façon, la création d'une redevance sur les PFAS vise non pas à sanctionner les industriels, mais à encourager un changement de modèle.

Sensibilisation et communication

Pour Christian Lécussan, la question de la communication est primordiale pour sensibiliser le grand public et il serait nécessaire d'être accompagné par des sociologues dans les comités de bassin.

Le Sénateur Gillé ajoute que la politique de l'eau doit reposer sur une communication de grande qualité, qui reste aujourd'hui beaucoup trop institutionnelle et très peu adaptée à la cible visée. Il considère qu'il va falloir repenser les logiques en la matière.

Il constate, par exemple, que l'élaboration des SAGE et des SDAGE est un processus particulièrement lourd et complexe, rendant difficile la participation des citoyens ordinaires. Le Plan Eau prévoyait une simplification des SAGE, pour faire monter en conscience l'ensemble des acteurs sur le territoire1. Cela permet en outre de faciliter l'articulation entre le SAGE et les documents d'urbanisme tels que les schémas de cohérence territoriale (SCoT) et les plans locaux d'urbanisme (PLU, PLUi).

Thierry Burlot partage totalement cette analyse et précise que le SDAGE Loire Bretagne représente 17 kg de papier. C'est illisible et c'est la même chose pour les différents SAGE de Bretagne. Ce devrait être des documents publics, mais dans la réalité, ce sont des documents d'experts. Le grand public ne sait pas, dans la grande majorité des cas, d'où provient l'eau qu'il consomme. Il est donc illusoire d'attendre qu'il protège une ressource qu'il ne connaît pas.

Une intervenante remarque que ces notions devraient être inculquées dès l'école, à l'aide d'un discours adapté. Sylvain Boucher précise qu'il ne faut pas se limiter aux plus jeunes, seule la continuité de la sensibilisation permet d'ancrer durablement le sujet dans les consciences.

Karine Gervaise, Directrice de la Stratégie de Suez Eau France ajoute que l'eau est porteuse de sens et de valeur pour les jeunes, mais qu'il existe une très grande méconnaissance de ces sujets chez les adultes. L'eau est désormais réduite à un produit de consommation qui nécessite d'être « réenchanté » à travers ses externalités positives et les bénéfices rendus pour l'humanité. Il faut retravailler le pacte social autour de la question de l'eau et de ses enjeux.

Erik Orsenna avait proposé l'idée que chaque école adopte une rivière afin de sensibiliser les jeunes à l'importance de l'eau et de la biodiversité. Thierry Burlot approuve cette idée, qui présente l'avantage de créer du lien humain, alors que le monde de l'eau s'est aujourd'hui enfermé dans des aspects techniques.

Yves Forzini, Vice-Président SADE C.G.T.H. constate qu'on prend conscience de la valeur des choses lorsqu'elles viennent à manquer. Il propose donc, pour sensibiliser le public à la problématique de l'eau, d'organiser annuellement, en partenariat avec tous les fournisseurs d'eau, une « journée sans eau ». Lorsqu'on est confronté à la perspective de manquer d'eau, le prix du m³ devient une préoccupation secondaire...

__________________

1 Décret n° 2024-1098 du 2 décembre 2024 relatif aux schémas d'aménagement et de gestion des eaux

__________________

L'AFITE souhaite remercier le Sénateur Hervé Gillé, les deux intervenants et l'ensemble des participants à ce petit déjeuner qui ont contribué à la richesse et à la convivialité des échanges.

 


Publié le 29/10/2025




Nous suivre
Agenda
<< Octobre 2025 >>
L M M J V S D
    1 2 3 4 5
6 7 8 9 10 11 12
13 14 15 16 17 18 19
20 21 22 23 24 25 26
27 28 29 30 31    
Parutions
Potentiel et limites au dessalement de l'eau de mer en France
Pollutions industrielles une priorité politique et sanitaire
Adaptation au changement climatique : LE GUIDE !
Etude sur l'adaptation du parc social aux risques climatiques
Nominations
Ministère de la Transition écologique
CUVELIER Thomas
Ministère de la Transition écologique
BARBUT Monique
Ministère de la Transition écologique
LEFÈVRE Mathieu
Ministère de la Transition écologique
CHABAUD Catherine