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Le défi de l'eau en France : quelles mesures à prendre en urgence ? Petit déjeuner au Palais du Luxembourg, le mercredi 16 octobre 2024

L'AFITE organisait le 16 octobre 2024 un Petit déjeuner au Palais du Luxembourg avec la participation de Guillaume CHEVROLLIER, Sénateur de la Mayenne, Vice-Président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et de Pascal BERTEAUD, Directeur Général du CEREMA, Président de l'Office International de l'Eau (OiEau).

 

Le défi de l'eau en France : quelles mesures à prendre en urgence ?

Avec la participation de Guillaume CHEVROLLIER, Sénateur de la Mayenne, Vice-Président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et de Pascal BERTEAUD, Directeur Général du CEREMA, Président de l'Office International de l'Eau (OiEau)

Petit déjeuner au Palais du Luxembourg, le mercredi 16 octobre 2024

 

L'AFITE a souhaité suivre la mise en œuvre du Plan Eau du gouvernement, présenté le 30 mars 2023 par le président Emmanuel MACRON.

Un premier petit déjeuner a été organisé au Palais du Luxembourg le 9 novembre 2023 autour du Sénateur Mathieu DARNAUD, Vice-Président du Sénat et du président du Comité de Bassin Artois-Picardie, André FLAJOLET, au cours duquel, en plus de la discussion générale sur le Plan Eau, ont été abordés des sujets tels que la gouvernance et le droit d'usage (chapitre IV du plan). Le compte rendu des échanges figure dans le n° 12 de la revue « Innovations Environnement » publié par l'AFITE.

Un an et demi après le lancement de ce plan, l'AFITE a souhaité faire un point sur les premières réalisations et avancées et aborder le sujet de la ressource en eau (chapitre 2 du plan), en particulier le développement de la REUT (réutilisation des eaux usées traitées), action faisant également partie de la question 6 du rapport sénatorial sur l'avenir de l'eau, établi par la délégation sénatoriale à la prospective en novembre 2022¹.

Ce nouveau débat était organisé sous le parrainage et en présence du Sénateur Guillaume CHEVROLLIER, vice-président de la Commission sénatoriale de l'aménagement du territoire et du développement durable et de Monsieur Pascal BERTEAUD, directeur général du CEREMA et président de l'Office International de l'Eau (OiEau).

 

Le sénateur CHEVROLLIER confirme que le Sénat est particulièrement mobilisé sur la thématique de l'eau, à travers les travaux de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, mais également de la mission de la délégation sénatoriale à la prospective sur l'avenir de l'eau1 ou encore la Mission d'information sur la Gestion durable de l'eau2.

Ces travaux sénatoriaux sont en phase avec les travaux impulsés par le gouvernement tels que les assises de l'eau, le Varennes agricole de l'eau et l'annonce du nouveau Premier ministre d'une grande conférence nationale sur l'eau.

La thématique de l'eau figure dans l'agenda politique et dans l'agenda des Français, qu'il faut sensibiliser, dans une période d'adaptation au changement climatique, à la nécessité de préserver et d'avoir une quantité d'eau suffisante pour les usages du pays. Le volet qualitatif est également cher au Sénateur, notamment dans les territoires ruraux, avec les sujets sur les pollutions diffuses qui impactent les agriculteurs. L'eau est un sujet qui intéresse le politique et qui doit intéresser la société et appeler à une mobilisation de chacun.

Le sénateur CHEVROLLIER rappelle que la mission première des parlementaires est de voter des lois. Il n'y a pas de nouvelle loi sur l'eau, mais ils doivent également contrôler l'effectivité d'un certain nombre de mesures qui sont prises par le gouvernement. C'est dans cette logique que le Sénat travaille aujourd'hui.

 

Pascal BERTEAUD possède une grande expérience dans le monde de l'eau, notamment en tant que directeur de l'eau de 2002 à 2008. Au cours de cette période, il a porté durant 5 ans le projet de loi sur l'eau3, dont l'élaboration a duré 9 ans au total, ce qui montre à quel point les questions d'eau sont complexes. Lorsqu'on touche à l'eau, cela concerne absolument toutes les activités humaines, et à partir de là tout le monde est concerné, toutes les activités économiques, tous les sujets sociaux, avec des positions qui sont différentes selon les points de vue et une difficulté à trouver des compromis. Un certain nombre de parlementaires pensent qu'il faudrait refaire une loi sur l'eau, car les systèmes qui ont été mis en place il y a une quarantaine d'années ont fait la preuve de leur efficacité, mais ne sont pas toujours adaptés aux nouvelles problématiques.

Pascal BERTEAUD est aujourd'hui Directeur Général du Cerema. Cet organisme est l'héritier du réseau technique de l'ex-ministère de l'Équipement. Il compte 2500 personnes, 1500 ingénieurs, 700 techniciens qui travaillent essentiellement sur toutes les thématiques de l'aménagement. Il est en quelque sorte le gros bureau d'étude publique sur tous les sujets en lien avec l'aménagement : cela va du bâtiment aux infrastructures, en passant par la mobilité, les risques, l'eau, le littoral, avec, en toile de fond, la question du changement climatique, parce que le climat dans 30 ans sera très différent du climat d'aujourd'hui, avec des conséquences fortes en matière d'eau, qui connaîtra à la fois une raréfaction de la ressource et une augmentation des événements exceptionnels tels qu'inondations, sécheresses... Pascal BERTEAUD est aussi président de l'Office International de l'eau, qui est une association qui regroupe l'ensemble des acteurs de l'eau au plan national pour porter la politique française de l'eau à l'international et qui mène des activités d'études, de gestion de données et de conseil à l'international.

    La connaissance de la ressource et des usages

    M. BERTEAUD considère qu'en matière d'eau, la connaissance de la ressource et la connaissance des usages sont des sujets essentiels, sur lequel on a fait de grands progrès dans les années 90 avec notamment la création du réseau national de données sur l'eau et la création d'un certain nombre de base de données nationales de suivi des niveaux et de la qualité de l'eau des rivières et des nappes. Aujourd'hui le besoin est beaucoup plus fort en matière de ressources et d'usages, avec l'objectif de faire correspondre les ressources aux usages. L'OIEau et le Cerema travaillent sur le développement de l'outil « STRATEAU » qui permet de modéliser la demande à l'échelle d'un bassin versant en prenant l'ensemble des activités économiques, humaines, sociales, de modéliser la ressource disponible et de croiser ces données pour bâtir des scénarios.

    Les transferts de compétences imposés par la Loi NOTRE

    Un sujet d'actualité qui fait débat au Sénat cette semaine et qui relève de la la gouvernance de l'eau, concerne le transfert de la compétence eau et assainissement de la Loi NRE de 2015. Une dérogation avait été accordée jusqu'en 2026 et une nouvelle proposition de texte4 a pour objectif de redonner la liberté à certaines collectivités de conserver la compétence, particulièrement dans les territoires de montagne qui ont exprimé une sensibilité très forte sur la question, sans remettre en cause ceux qui ont déjà effectué le transfert. Il y a eu également des annonces gouvernementales sur le sujet, qui a des impacts sur la gestion de l'eau dans les territoires. Pour le Sénateur CHEVROLLIER, cela va dans une logique d'apaisement, parce qu'on ne mènera pas de politique de l'eau dans les territoires avec les acteurs locaux sans une coopération apaisée et un diagnostic partagé. Il faut donner du sens pour engager les uns et les autres dans une direction avec une stabilité.

    Selon M. BERTEAUD le problème vient en partie du fait qu'en France, on a promu, à juste titre, depuis une quarantaine d'années la gestion par bassin versant. Le principe est assez naturel, car les habitants d'un même bassin versant sont liés entre eux par le fait qu'ils consomment la même eau. Il s'agit d'une logique plus proche de la nature que des découpages administratifs. Mais la Loi NOTRE remet tout cela en question : il faut revenir au cadre intercommunal classique, ce qui a soulevé un certain nombre de problèmes, évoqués par le sénateur CHEVROLLIER. Pourtant, l'idée d'avoir des réseaux d'eau interconnectés afin de ne pas laisser de commune isolée, est absolument essentielle lorsqu'il s'agit de gérer une sécheresse. M. BERTEAUD pense qu'il est indispensable d'opérer des regroupements, mais dans certain cas, il faudra sans doute faire preuve de souplesse, notamment dans les zones de montagne où le regroupement en intercommunalité est compliqué.

    Pierre RAMPA, Président de « Les Canalisateurs » s'interroge sur le sens de la mesure consistant à laisser la compétence eau et assainissement à certaines communes isolées. Seules, elles ne pourront rien faire, et elles risquent d'être confrontées au problème dans le futur. D'un autre côté, on peut reprocher à certaines intercommunalités d'être trop « politique » et d'oublier les petites communes périphériques. C'est pour cela que certaines petites communes ne veulent pas entrer dans l'intercommunalité, pour ne pas perdre leur identité et leur dynamique. Il est peut-être préférable de confier cette compétence à un syndicat des eaux à compétence unique, qui sera plus à même de gérer les spécificités du sujet.

    Pour Régis TAISNE, Chef du département « cycle de l'eau » à la FNCCR (Fédération Nationale des Collectivités Concédantes et Régies), le « péché originel » de la Loi NOTRE est de n'avoir misé que sur un seul type de structure, en oubliant la finalité, qui est de renforcer les capacités de maîtrise d'ouvrage, les capacités de financement et d'action, d'interconnecter et de mutualiser les réseaux... La situation est aujourd'hui bloquée et il faut lui apporter un peu de souplesse, mais il faut conserver les possibilités de mutualisation et de regroupement qui permettent aux collectivités d'avoir une bonne capacité de maîtrise d'ouvrage et un panel de ressources diversifié, lorsque c'est possible, sur lesquelles s'appuyer en cas de problème de pollution ou de sécheresse. Les structures syndicales dans un certain nombre de territoires ont l'avantage de pouvoir épouser exactement les contours géographiques qui sont les plus pertinents.

    La question du prix de l'eau

    Pour le Sénateur CHEVROLLIER, L'annonce d'une conférence nationale sur l'eau permet de rappeler à nos concitoyens et aux acteurs de l'eau qu'il s'agit d'une thématique forte où chacun a sa responsabilité : les collectivités locales, les agriculteurs, les citoyens consommateurs de l'eau. Il faudra aussi aborder le sujet de la tarification de l'eau, parce qu'il y a des investissements forts à réaliser qu'il faudra financer. Ce débat devra permettre d'ouvrir des perspectives, dans un contexte complexe, afin que les utilisateurs payent au juste prix l'eau qu'ils consomment. C'est une ressource essentielle, indispensable au développement, à la réindustrialisation, à l'agriculture.

    Jérôme GUILLEAUTOT, Directeur Commercial France de SAINT-GOBAIN PAM CANALISATION constate que dans les zones rurales, les projets sont immenses, mais les revenus sont faibles et l'inquiétude est palpable dans les petites collectivités qui risquent de se retrouver isolées. Les investissements qui doivent être faits dans le monde de l'eau sont considérables en matière d'interconnexion et le financement d'un certain nombre de projets se pose, même si la météo de 2024 a provisoirement apaisé certaines inquiétudes. Le sujet du financement des projets d'interconnexion et de sécurisation reste problématique dans les zones rurales.

    L'objectif pour Pascal BERTEAUD est qu'aucune commune ne soit isolée. Les travaux d'interconnexion vont entraîner des dépenses importantes, mais même si c'est un sujet tabou, il constate que le prix de l'eau est faible en France, comparé aux prix pratiqués dans la plupart des autres pays. Il faudra donc sans doute augmenter le prix de l'eau si on veut pouvoir réaliser toutes ces interconnexions. Dans la période actuelle aucun élu n'est prêt à le faire, mais M. BERTEAUD pense qu'on n'échappera pas à ce débat, dans un contexte où l'adaptation au changement climatique va nécessairement coûter de l'argent.


    Comparatif des prix des services des 5 plus grandes villes de 10 pays européens
    Source : 11° Baromètre NUS Consulting pour la FP2E (2017)

    Karine GERVAISE, Directrice de la Stratégie Eau France SUEZ constate que les élus ne sont pas disposés, compte tenu du contexte actuel, à impacter le pouvoir d'achat des usagers en augmentant le prix de l'eau, même s'il apparaît d'après les enquêtes que les usagers sont prêts à accepter une telle augmentation si on les met face aux risques de pénuries d'eau.

    Patrick FAISQUES, Responsable Relations Institutionnelles de VEOLIA EAU FRANCE partage cette analyse, et certains sondages confirment que les Français sont prêts à accepter une augmentation du prix de l'eau, à condition de leur expliquer pourquoi. La question n'est pas tant celle du prix de l'eau, mais plutôt de ce que va permette de financer l'augmentation.

    Pascal BERTEAUD confirme que les sujets liés au changement climatique étant mieux perçus par les populations, nous devrions être capables d'expliquer la nécessité d'augmenter le prix de l'eau, mais la solution de facilité pour les élus est de ne pas prendre de risque et de dire que les utilisateurs ne veulent pas qu'on touche au prix de l'eau. Il s'étonne que ce sujet soit aussi brûlant aujourd'hui.

    Régis TAISNE fait état de plusieurs grandes collectivités telles que Eau du Bassin Rennais, Charente Eaux ou Eaux de Vienne... qui ont augmenté le prix de l'eau entre 2022 et 2023, jusqu'à 30 %, et qui étaient plutôt inquiètes en ce qui concerne la communication de ces mesures aux usagers. Au final elles ont reçu un nombre extrêmement faible de réclamations et cela montre que ce n'est pas un sujet insurmontable, même si la période était plutôt favorable après la sécheresse de 2022.

    Pascal FARJOT, Administrateur de l'AFITE, évoque un problème d'éducation des usagers, sans même parler de l'éducation dans les écoles. Il faut expliquer les différentes étapes de traitement, de transport et d'assainissement de l'eau en montrant que chacune de ces étapes à un coût.

    Pascal BERTEAUD mentionne le fait que la plus grande partie des coûts sont des coûts fixes alors que la tendance est de facturer l'eau au prorata de la consommation, ce qui ne facilite pas le calcul. Mais s'ils veulent continuer à avoir de l'eau, les usagers doivent bien comprendre qu'il y a des dépenses à faire. Il devrait y avoir des campagnes pédagogiques sur le sujet, à l'échelle locale, pour que les Français comprennent les bénéfices rendus par les services d'eau.

    Fabien BERNARDIN, du S.A.E.P.A. DE BRAY SUD, explique qu'il se rend régulièrement dans les écoles afin de sensibiliser les jeunes au petit cycle de l'eau, mais également aux métiers de l'eau.

    Sur ce sujet, Patrick FAISQUES se félicite que la question de l'eau soit abordée en cycle élémentaire, mais il regrette qu'elle ne soit quasiment pas traitée en collège et lycée, au moment où les jeunes font leurs choix d'orientation, ce qui pourrait résoudre quelques problèmes d'attractivité du secteur. Par ailleurs, les lycéens d'aujourd'hui sont les électeurs de demain...

    La sobriété hydrique et la qualité des cours d'eaux

    Le Plan Eau comporte à la fois des mesures d'économie d'eau et des mesures pour trouver de nouvelles ressources. M. BERTEAUD constate qu'on a, dans le passé, pris l'habitude de vivre avec une ressource abondante, avant de prendre, dans les années 2000, des mesures de gestion collective, visant à réduire la consommation d'eau potable. Mais la consommation en eau potable n'est finalement qu'une petite partie de la consommation d'eau si on prend en compte la consommation d'eau industrielle et la consommation d'eau agricole.

    Pour ce qui concerne la consommation d'eau industrielle, le système des Agences de l'Eau est assez rodé puisque les redevances sur la consommation d'eau servent au financement d'opérations permettant notamment la réalisation d'économies d'eau. C'est un système qui a très très bien fonctionné pour lutter contre la pollution industrielle dans les années 70 et 80. Le traitement de la pollution organique et de la pollution industrielle dans les stations d'épuration a permis le retour de la vie dans de nombreux cours d'eau, et le retour de l'oxygène. Des phénomènes d'eutrophisation liés aux nitrates et aux phosphates sont alors apparus dans les années 90 - 2000 du fait de l'augmentation des taux d'oxygène. Les nitrates et les phosphates sont donc traités. Apparaissent alors les questions de pollutions par les métaux lourds, par les micropolluants, etc. Mais en réalité, M. BERTEAUD constate que les rivières n'ont jamais été aussi propres en France depuis le Moyen Âge.

    Fabien BERNARDIN remarque que si la pollution organique est beaucoup mieux traitée que dans le passé, la nature de la pollution a beaucoup changé avec l'apparition de produits de synthèse qui contaminent l'eau et les nappes (médicaments, engrais chimiques, etc. ). Les stations d'épuration ont généralement peu d'effet sur ces polluants et il est aujourd'hui nécessaire de traiter ces molécules au sein d'usines de traitement d'eau potable.

    Pour Pascal BERTEAUD, la problématique des pesticides tient en grande partie du fait que les vendeurs sont aussi les prescripteurs. L'idée de séparer ces deux activités, comme c'est le cas pour le médecin et le pharmacien par exemple, avait été proposée lors de l'élaboration de la Loi sur l'eau, mais n'a pas été retenue. La stratégie Écophyto 2030 porte l'objectif de réduction de l'utilisation produits phytosanitaires de 50 % d'ici 2030, mais il est indispensable que ce sujet fasse l'objet d'une vraie prise de conscience nationale.

    Pour ce qui concerne la consommation d'eau agricole, M. BERTEAUD constate que la question est assez compliquée, parce qu'on ne fait pas d'agriculture sans eau et que l'humanité a toujours irrigué. Mais vouloir cultiver du maïs, qui est une culture tropicale, à peu près partout dans le Sud-Ouest, ou en Charentes avec un sol qui ne retient pas l'eau, ça ne peut pas marcher et d'ailleurs ça ne marche pas. Il y a donc un travail fondamental à faire au niveau des pratiques culturales, des choix de culture, avant de réfléchir à la question de la gestion de l'eau. La Loi sur l'eau mettait en place une mesure de gestion collective de l'eau, en regroupant les agriculteurs dans des organismes de gestion collective afin qu'ils administrent eux-mêmes la répartition des ressources qu'ils sont autorisés à prélever. Cela ne fonctionne pas très bien parce que demander à des usagers de réguler eux-mêmes l'accès à la ressource et de gérer des restrictions, c'est un peu compliqué. Il y a aujourd'hui des gros débats sur la création de retenues d'eau, des débats idéologiques absolument extraordinaires entre ceux qui sont pour les barrages, ceux qui sont contre... En réalité, dans notre pays, il y a beaucoup de stockages d'eau qui ont été faits depuis 200 ans. Le premier barrage dans le Tarn a près de 180 ans. Il y a probablement encore un certain nombre de stockages qui peuvent être faits, à condition de tenir compte de la régulation de la ressource, ce qui demande des études au cas par cas, à l'échelle du bassin versant. Il faut sortir de ces débats irrationnels et en s'aidant de la science, de la connaissance, faire en sorte d'exploiter au mieux la ressource.

    La réutilisation des eaux usées traités (REUT)

    Concernant le développement de la REUT, qui est un des objectifs du Plan Eau, le Sénateur CHEVROLLIER pense que la France était isolée par rapport à d'autres partenaires européens. C'est un objectif parmi d'autres, qui n'est pas sans poser un certain nombre de difficultés, techniques mais aussi financières, dans un contexte budgétaire et économique compliqué. C'est une solution qui mérite d'être étudiée et mise en œuvre dans les territoires où cela est pertinent, mais pas forcément dans tous les territoires, de surcroît s'il n'y a pas de tension sur l'eau, compte tenu, encore une fois, de son coût, de sa complexité technique et parfois même de l'acceptabilité sociale.

    Pascal BERTEAUD Rappelle que le Plan Eau comporte 5 mesures sur la REUT, avec l'objectif de développer 1000 projets de réutilisation sur le territoire d'ici 2027 et de multiplier par 10 les volumes d'eau réutilisés d'ici 2030. C'est un sujet que le CEREMA essaie de développer depuis longtemps, avec un point d'attention particulier sur le fait que si on ne réinjecte pas l'eau dans le milieu à la sortie de la station d'épuration, parce qu'on l'utilise une deuxième fois pour faire autre chose, c'est autant d'eau en moins réinjectée dans la rivière, qui risque de manquer à ceux qui sont en aval. Dans le cas d'une commune littorale, en estuaire de rivière, cela n'aura pas tellement d'effet et c'est pour cela que l'idée est de développer la REUT dans les zones littorales en priorité, où les conséquences négatives sont à priori très faibles. Cela ne veut pas dire qu'il faut interdire la REUT ailleurs, mais l'idée est de commencer par ce qui est le plus facile.

    La mesure 18 du Plan Eau demande à l'Association nationale des élus du littoral (Anel) et au Cerema de lancer un programme d'accompagnement spécifique aux communes littorales pour construire leurs stratégies de REUT. Ce programme5 a pour objectif d'identifier et accompagner 30 à 40 projets afin de tirer des conclusions et des recommandations que l'on pourra proposer aux autres porteurs de projet. C'est une méthode utilisée de plus en plus souvent au CEREMA. Le projet démarre en ce moment avec un taux de subvention des études réalisées dans le cadre du programme de 80 % à travers un financement des Agences de l'Eau et de la Banque des Territoires dans l'hexagone, et de l'Office Français de la Biodiversité dans les Outre-Mer. Les travaux réalisés par la suite entreront dans les subventionnements de projets classiques des Agences de l'Eau avec des aides de 50 à 60 %. Un premier séminaire a été organisé avec les candidats potentiels. Aujourd'hui 17 collectivités sont engagées et une quinzaine de plus devrait les rejoindre au mois de janvier avec l'objectif de démarrer les études début 2025 pour que ces projets puissent éclore en 2026.

    Concernant les autres mesures sur la REUT, de nombreux textes6 ont permis de lever les freins réglementaires. Les services de santé et le ministère de la Santé, dans notre pays, ont toujours été très réticents à l'idée que la réutilisation d'eaux usées peut créer de nouveaux risques sanitaires là où il n'y en a pas. Le débat entre l'administration de l'eau et l'administration de la santé depuis 40 ans consiste à déterminer quel niveau de risque nous sommes capables d'accepter. La volonté politique a permis la publication de ces textes, et Pascal BERTEAUD reconnaît qu'il s'agit d'une véritable avancée. Il faut cependant rester prudent sur les risques sanitaires, et ne pas faire n'importe quoi.

    La mesure 16 concerne l'accompagnement des porteurs de projets et la mise en place d'un guichet unique pour le dépôt des dossiers, cela est en cours de finalisation au sein des Agences de l'Eau, mais M. BERTEAUD considère que ce n'est sans doute pas cette question qui bloque les projets.

    La mesure 17 concerne la mise en place d'un observatoire sur la réutilisation des eaux usées traitées. Le CEREMA y travaille actuellement avec le gouvernement.

    La récupération des eaux de pluie de toiture des bâtiments agricoles (mesure 19) est une mesure simple, qui ne coûte pas très cher et pour M. BERTEAUD, nous avons tout intérêt à la généraliser sur les toitures domestiques, tertiaires...

    Concernant les projets de REUT, ils sont nombreux, mais peu d'entre eux sont mis en œuvre. Avant les changements réglementaires il était très compliqué de mener à bien de tels projets et il faut attendre de voir quel sera l'effet des nouveaux textes. Mais selon M. BERTEAUD, on ne change pas les mentalités en changeant les textes. L'évolution va sans doute prendre un peu de temps.

    Selon Régis TAISNE, la mise en œuvre de projet nécessite des changements culturels et de procédures, mais le frein principal est celui du modèle économique. Il n'y a aujourd'hui pas d'intérêt économique à la REUT, à l'exception des cas où elle vient en substitution à l'eau potable. Si on obtient un prix du mètre cube entre 50 centimes et 1 € pour de la REUT qui vient en substitution de l'eau potable à 2 € du m³ l'opération est rentable, mais si c'est en substitution d'un prélèvement dans une rivière à 2 centimes du m³ et qu'il faut demander à l'usager de l'assainissement de payer la différence, cela va être plus compliqué.

    Pascal BERTEAUD Confirme qu'il faudra engager une réflexion sur les modèles économiques et cela rejoint la question du prix de l'eau, pour tous les utilisateurs et pas uniquement pour l'eau potable. L'eau doit être facturée à sa juste valeur, y compris pour les usages agricoles. Tant que nous disposerons d'eau à un prix très faible, il n'y aura aucun intérêt à développer la REUT. C'est un sujet qui demande beaucoup de travail, mais auquel nous n'allons pas échapper.

    Le constat sur le terrain, d'après un participant, est que beaucoup d'études ont été engagées, mais lorsqu'on regarde le prix de revient de l'eau usée traitée, presqu'aucun projet ne se concrétise, à moins qu'il n'y ait une vraie volonté politique à faire de la REUT.

    Karine GERVAISE, fait état d'une centaine de projets en cours dans les collectivités pour lesquelles le groupe SUEZ travaille, avec des niveaux de maturité extrêmement différents. Les deux problématiques principales rencontrées étant l'acceptabilité sociale pour les usagers, qui reste encore compliquée en France, et bien sûr la question du financement et du modèle économique associé.

    M. FAISQUES remarque que dans les pays les plus avancés en matière de REUT, ce sont bien souvent des entreprises françaises qui mettent en œuvre les solutions. Nous sommes donc très en avance sur le plan technique. Il y a un frein économique, cela a été évoqué, mais la vraie difficulté est de faire comprendre que nous n'aurons pas le choix. Ce n'est pas une solution miracle, elle devra s'accompagner d'autres technologies telle que le stockage... à un niveau de gouvernance qui dépasse la petite commune. Le niveau du bassin versant semble adapté.

    Patrick FAISQUES fait état d'une expérimentation de REUT d'une durée de 3 an sur une STEP dans le sud de la France, pour alimenter des cultures. Sur le plan technique, cela ne pose pas de problème, mais les formalités administratives sont insensées : les autorités de santé ont demandé l'analyse de 250 polluants avec un rythme régulier durant 3 ans, avant de refermer le projet à la fin de l'expérimentation. Le projet ne présentait pas de problème sanitaire, mais restait la question du coût et de qui devait le prendre à sa charge. Les modifications réglementaires vont donc dans le bon sens.

    Il indique qu'en Catalognes, pour tout projet immobilier, il faut justifier que l'on ne fait pas de REUT. En termes de conception, cela veut dire qu'il faut d'abord regarder s'il est possible de faire de la REUT et sinon, il faut justifier pourquoi.

    Christophe FLEUTOT, Coordinateur environnement de la coopérative d'Isigny Sainte-Mère apporte son témoignage des actions engagées au sein de son entreprise, qui figure parmi les 55 sites retenus par le gouvernement pour bénéficier d'un accompagnement de proximité afin de réduire leur consommation d'eau. La coopérative se situe en Normandie, à mi-chemin entre Caen et Cherbourg, sur l'estuaire de la Baie des Veys où se jette la Vire. Elle est installée sur le territoire depuis 1909 et élabore des produits AOP, qui ne sont pas délocalisables. L'environnement est forcément important pour la coopérative qui est constituée de près de 600 coopérateurs - agriculteurs. L'entreprise met en œuvre de nombreuses actions en faveur du monde agricole autour du site. L'année 2022 a raisonné également en Normandie, qui a été témoin de la sécheresse. Des engagements ont été pris à l'issue de cette sécheresse avec un objectif de réduire la consommation d'eau de 20 % en 2025 par rapport à consommation 2022. Des études ont été engagées, cela représentait un engagement financier conséquent. Sur une consommation d'un million de m³, l'économie possible était estimée à 30 %. Par ailleurs, la coopérative produit de la poudre de lait, l'eau évaporée est récupérée, et même si on ne va pas jusqu'à la potabilisation, on peut l'utiliser dans le process, pour le refroidissement des pompes, des condenseurs... Aujourd'hui l'objectif de -20 % a été atteint. Un nouvel objectif a été établi à -30 % pour 2030 et il y a encore des opportunités de réduction. Cela montre qu'il y existe des solutions qu'on peut mener sur le terrain assez rapidement. Avec l'évolution de la réglementation, aujourd'hui cette eau peut être au contact alimentaire et cela ouvre de nouvelles perspectives.

    Conclusion

    M. BERTEAUD constate que ces sujets ressurgissent régulièrement, pendant les périodes de crises sécheresses : en 2022 tout le monde se mobilise, puis en 2023 ça va un peu mieux et en 2024, nous avons eu une année humide. Il craint que si nous rencontrons de l'humidité au cours des prochaines années, plus personne ne soit concerné par le sujet. C'est ce qui est arrivé dans le passé : après la canicule de 2003 et la grande sécheresse de 2005 plusieurs années humides ont occulté le sujet. Mais le risque d'oubli est aujourd'hui très faible, car ces sujets vont fortement s'intensifier avec la question du changement climatique. Dans presque toutes les activités du CEREMA, le changement climatique est un déterminant majeur dans les 30 prochaines années, et pour ce qui concerne l'eau, c'est encore plus évident. M. BERTEAUD considère qu'au-delà du plan Eau, il faut qu'on soit capable collectivement de se projeter et de trouver des modèles de gouvernance pour gérer ces évolutions.

    Mme GERVAISE partage la crainte de M. BERTEAUD que l'alternance d'épisodes de sécheresses et de pluies, voire d'inondations fasse que chacun reste sur ses positions et qu'on ne traite pas globalement et de manière systémique ces questions d'aménagement du territoire, de bassin de vie, qui déterminent la société dans laquelle nous souhaitons vivre.

    Pascal BERTEAUD évoque également la question de l'acceptabilité des projets. Il y a énormément de craintes et de phantasmes et il devient très difficile de mettre en œuvre des grands projets. Il faut trouver un moyen d'associer la population. C'est un des grands défis pour les prochaines années. Il concerne la REUT, mais également tous les grands projets d'aménagement.

     

    L'AFITE souhaite remercier le Sénateur Guillaume CHEVROLLIER et Pascal BERTEAUD, ainsi que l'ensemble des participants à ce petit déjeuner qui ont contribué à l'interactivité et la richesse des échanges et vous donne rendez-vous pour un prochain petit déjeuner sur le sujet du Plan Eau.

     

     



    1« Éviter la panne sèche - Huit questions sur l'avenir de l'eau » Rapport d'information n° 142 (2022-2023), déposé le 24 novembre 2022 - https://www.senat.fr/notice-rapport/2022/r22-142-notice.html

    2Mission d'information sur la "Gestion durable de l'eau : l'urgence d'agir pour nos usages, nos territoires et notre environnement" adopté à l'unanimité le 11 juillet 2023. https://www.senat.fr/notice-rapport/2022/r22-871-notice.html

    3Loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques (dite Loi LEMA)

    4Proposition de loi visant à assouplir la gestion des compétences « eau » et « assainissement » - https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl23-556.html

    5https://www.cerema.fr/fr/programme-acceleration-reut-littoral

    6- Décret n° 2023-835 du 29 août 2023 relatif aux usages et aux conditions d'utilisation des eaux de pluie et des eaux usées traitées
    - Arrêté du 14 décembre 2023 relatif aux conditions de production et d'utilisation des eaux usées traitées pour l'arrosage d'espaces verts
    - Arrêté du 18 décembre 2023 relatif aux conditions de production et d'utilisation des eaux usées traitées pour l'irrigation de cultures
    - Décret n° 2024-33 du 24 janvier 2024 relatif aux eaux réutilisées dans les entreprises du secteur alimentaire et portant diverses dispositions relatives à la sécurité sanitaire des eaux destinées à la consommation humaine
    - Décret n° 2024-769 du 8 juillet 2024 autorisant certaines eaux recyclées comme ingrédient entrant dans la composition des denrées alimentaires finales et modifiant les conditions d'utilisation de ces eaux dans des établissements du secteur alimentaire
    - Arrêté du 8 juillet 2024 relatif aux eaux réutilisées en vue de la préparation, de la transformation et de la conservation dans les entreprises du secteur alimentaire de toutes denrées et marchandises destinées à l'alimentation humaine
    - Décret n° 2024-796 du 12 juillet 2024 relatif à des utilisations d'eaux impropres à la consommation humaine
    - Arrêté du 12 juillet 2024 relatif aux conditions sanitaires d'utilisation d'eaux impropres à la consommation humaine pour des usages domestiques pris en application de l'article R. 1322-94 du code de la santé publique

     


    Publié le 25/11/2024




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    Les politiques publiques de santé environnementale
    Rétablir l'équité commerciale et environnementale face à la mondialisation déloyale
    Rapport sur l'état de l'environnement en Europe en 2025
    Les investissements publics sur l'eau
    Nominations
    Ministère de la Transition écologique
    CUVELIER Thomas
    Ministère de la Transition écologique
    BARBUT Monique
    Ministère de la Transition écologique
    LEFÈVRE Mathieu
    Ministère de la Transition écologique
    CHABAUD Catherine